![]() |
Texte de Sophie Duplaix, conservatrice au Musée National d’Art Moderne, Centre Georges Pompidou, écrit en 1999, à l’occasion d’une exposition itinérante en Europe « France, une nouvelle génération », exposition organisée par d’ADIAF, commissaire Jean Marc Prévost. Peindre à partir d'images "trouvées", familières, c’est, pour christophe vigouroux, nous attirer subrepticement vers cette peinture que l'on dit malmenée, en perte de vitesse, dont la pratique aujourd'hui, paraît presque suspecte. C'est nous montrer combien celle-ci recèle encore de possibilités, combien elle conserve intacte sa capacité à déranger, à séduire, même dans son exercice le plus traditionnel, l'huile sur toile, et avec, de surcroît, un choix de sujets parmi les plus banals. C'est en effet dans des images quotidiennes que nous ne regardons plus, mais que notre inconscient a assimilées depuis longtemps, que Christophe Vigouroux puise l'essentiel de son inspiration. il s'agit d'images prélevées sur les emballages de produits de grande consommation, dans les catalogues promotionnels, et, plus récemment, d'images issues de l'histoire de l'art, plus précisément de celle qui se raconte par le truchement des couvercles de boîtes de chocolats ou des produits dits "dérivés", commercialisés dans les boutiques des musées. ce sont donc ces images a priori sans qualité que l'artiste retient, images vouées à une reproduction de masse, images-signes destinées à provoquer un réflexe d'achat, images, donc, sans subtilité, mièvres ou tape-à-l’oeil, dont le seul but est d'être efficaces, peu importe le registre utilisé. A ces images,
Christophe Vigouroux fait subir une véritable
opération de "régénérescence".
il les décontextualise, les recadre, isole un détail, pousse
à
l'extrême leurs
caractéristiques plastiques (couleurs montées, contour flous dus à la
reproduction en série, etc.), et les peint, à l'huile sur toile.
Parfois
même il les
déforme, d'où par exemple ce chien qui gambade, issu d'un emballage
de
produit pour chiens, et devenu subitement monstrueux En réinjectant des images dans le contexte de la peinture entendue ici dans son acception la plus conventionnelle, qu'il s'agisse de la technique, de l'accrochage, du traitement des sujets par genre - portraits (Charles VII (au lait cru)...), natures mortes (aux fruits...), paysages (naturellement efficace...) -, Christophe Vigouroux cherche à retrouver un ordre dans cette profusion d' images à laquelle nous sommes quotidiennement confrontés et questionne notre propre manière de consommer l'image. Le "quoi faire en peinture?" répond au "qu'est-ce-qu'une image?" dans un subtil jeu de va-et-vient. La peinture révèle l'image, sa pauvreté comme son caractère offensif, en somme, son fonctionnement, particulièrement pervers lorsqu’il sert de support à la consommation ; l'image révèle la peinture, classique dans sa forme et pourtant si neuve, si imprévisible, avec cette formidable capacité à éveiller tour à tour chez le spectateur un sentiment d'inconfort, d'inquiétude, de bonheur, de plénitude. C’est là l'affirmation d'une peinture éternelle, pleine de surprises et de possibilités, d'une peinture-piège susceptible tout à la fois de dénoncer et d'émouvoir. Parallèlement à son travail de peinture, Christophe Vigouroux réalise de nombreuses aquarelles, sortes "d'exercices d'assouplissement". Exécutées de façon très spontanée à partir d'observations tirées du quotidien, elles sont achevées lorsque l'artiste arrive à un "carrefour de sens", quand surgit un hiatus entre titre et dessin, provoquant sourire et malaise. C’est entre ces deux pôles que l'artiste nous tient sans cesse : le rire peut jaillir, mais il reste en suspens, car le propos, somme toute, est souvent grave, et le regard du peintre bien loin d'être innocent.
Texte de Jean Marc Prévost, in Acquisitions 1992-2001, catalogue des collections du Musée Départemental d’Art Contemporain de Rochechouart
Christophe Vigouroux revisite les catégories traditionnelles de la peinture (portrait, paysage, scène de genre) en explorant les images du quotidien qu'il sélectionne indifféremment dans les magazines, revues ou livres d'histoire de l'art. L'iconographie médiatique ou publicitaire repose sur des stéréotypes, des fragments de la réalité recomposés et idéalisés qui ont pour seul mission la séduction par la proposition d'un "surréel". On pourrait avoir la tentation de penser l'œuvre de Vigouroux comme un des derniers avatars des stratégies des artistes pop mais sa position est à chercher résolument du côté d'une réflexion sur ces images qui perturbent notre rapport au réel. Surdimensionnées, déformées elles révèlent ce qu'elles ont d'incongru et d'inquiétant jusqu'à dévoiler leur force subliminale. La peinture, sans leur faire perdre leur identité de produit, lié à un contexte donné, leur permet de retrouver une forme de virginité en les rendant unique par le biais du tableau. L'utilisation du répertoire de l'histoire de la peinture (Mantegna, Léonard, Vermeer, Ingres) nous oblige de constater que tous les sujets se valent mais aussi que les modèles des images publicitaires sont à trouver dans les codes iconographiques de la peinture. Christophe Vigouroux joue du détail, du fragment décontextualisé comme dans Madame Moitessier, un gros plan du tableau d'Ingres, qui nous place à la fois face à un magnifique tissu digne d'une image publicitaire dans un magazine de décoration et à un remarquable morceau de peinture. Cette réflexion sur les icônes de l'histoire de l'art et des discours qui les accompagnent est à penser, sans hiérarchie prédéterminée, avec la présentation des figurations les plus banales comme Le Fort en Chocolat, simple carré, issu d'une grille-tablette de chocolat noir.
Pénétrer la peinture de Christophe Vigouroux c'est sauter à pieds joints dans un univers ludique, celui d'Alice ou de Gulliver. Le réel, identifié, tangible, y bascule imperceptiblement dans l'espace du piège. Surdimensionnées, ces figures du banal deviennent .singulières, voire inquiétantes. Vigouroux part d'une image trouvée et dûment choisie (publicités, emballages de produits alimentaires ou de produits d'entretien, prospectus, un répertoire qu'il a récemment élargi aux fragments d'oeuvres appartenant à l'histoire de la peinture : Mantegna, Léonard de Vinci, Vermeer, Ingres, etc.). Et Vigouroux de revisiter non sans ironie les catégories traditionnelles de la peinture : portrait {Charles 111 an lait cm), paysage (Spécialités du monde), nature morte (Régénérant)... Si elles ne perdent pas leur identité de produit, ne serait-ce que parce qu'elles en conservent l'intitulé, ces images vouées à une production et à une diffusion de masse retrouvent une forme de virginité en redevenant uniques par le biais du tableau. Puis vient la plongée au cœur de l'image, l'effet de mise en abîme: zoom sur un biscuit de la marque « Prince », puis détail (gros plan sur la tête de la petite effigie), et détail du détail (l'œil minuscule du personnage, un trou dans le gâteau, devenu gigantesque et énigmatique sur la toile). Ici. c'est la facilité de l'image qui est pure illusion. Au-delà de ce qui peut-être vu dans l’immédiateté du tableau, la lecture ne peut s'effectuer qu'au second degré, au-delà de l'aspect lisse, bienveillant et gentil, de cette iconographie de Supérette ! Deux questions se posent face à ce travail. La première concerne l'appropriation pratiquée à de nombreuses reprises par les artistes au 20ème siècle depuis les collages cubistes et dadaïstes. Celle-ci vise à s'attribuer une image existante qui appartient déjà autant à son concepteur qu'à la collectivité. D'ailleurs, plus l'image est connue et plus cette appropriation est troublante. Le travail de Vigouroux peut évoquer celui des pop-artistes, Warhol notamment), voire des gestes d’appropriation plus complexes encore (Elaine Sturtevant) Cependant, ce geste ne semble pas intéresser particulièrement Vigouroux, qui retraite l'image en la modifiant légèrement, (grossie, fragmentée, floue, celle-ci est quelque peu malmenée). Ce qui nous amène à la deuxième question : séduit, intrigué par les images qu'il choisit de peindre, l'artiste l'est certainement dans un premier temps, mais ces étiquettes ou emballages criards, conçus pour attirer l'œil de la ménagère, trahissent, une fois peintes, leur pauvreté, et curieusement aussi leur caractère offensif ou agressif. Attiré, et immédiatement repoussé, le spectateur reste désarçonné par ces tableaux. Le sentiment s'avère plus singulier encore lorsque Vigouroux détourne les détails d'œuvres exemplaires de l'histoire de la peinture : pied et stigmate du Christ mort de Mantegna, sourire de Mona Lisa et autre oeil de Mademoiselle Rivière que le spectateur reconnaît confusément sans toujours en identifier l'origine. Le plus gênant pour le spectateur est que les sujets ici se valent et que la démarche quelque peu « irrespectueuse » de l'artiste nous renvoie à notre propre manière de consommer l'image, y compris l'image peinte que le succès relègue souvent à un motif ornant les couvercles de boîtes de pralinés (impressionnistes), les maillots du tour de France (Mondrian) et autres objets joliment nommés « produits dérivés » qui font la fortune des boutiques de gadgets... ________________________________________________________________________ Texte pour l’exposition « TRAITS POUR TRAITS », dessins de la collection du Frac Haute-Normandie, Le Garage, Saint-Saëns, du 12 mars au 10 avril 2011
Parallèlement à ses tableaux de grands formats, Christophe Vigouroux poursuit depuis plusieurs années une pratique de l'aquarelle. Cette pratique est souvent associée à une activité de dilettante, à un passe‐temps au regard de la peinture. Les sujets sont très variés et les images sont souvent légères, drôles ou Érotiques. Le titre inscrit directement sur la feuille de papier est soit une description du dessin, soit un commentaire poétique ou ironique. Elles fonctionnent comme des entités autonomes mais peuvent être associées les unes aux autres, sous de nombreuses combinaisons pour créer un processus narratif. Elles sont désindexées du réel, comme les images peintes en grandes dimensions, bien qu'elles appartiennent à un univers quotidien ou sont associées à des rêves d'enfance partagés par tous. Une femme faisant la vaisselle Ma Chérie ou découvrant ses seins dans le miroir de la salle de bain Topless, une marguerite effeuillée À la folie ou une orange en orbite rencontrant un petit pois Le Système solaire... Il y a quelque chose qu'il faut chercher du côté de l'enfance, d'une naïveté qui nous Éloigne d'une certaine façon de la réalité aussi bien par les couleurs douces de l'aquarelle que la dimension poétique des sujets. La fluidité du medium s'oppose à la forte présence de l'image dans les cadrages des peintures. Les figures apparaissent dans un espace défini par la couleur au centre de la blancheur de la feuille de dessin comme des apparitions fugitives et poétiques suggérant un autre regard sur la réalité.
![]() |